Niccolo Paganini jouait de son violon avec un tel brio, une telle fougue et puissance quasi surnaturelle, qu’on le disait mû par une force diabolique, par ailleurs les bruits couraient qu’il aurait passé un pacte avec le diable. Ceci pour la petite histoire, la vérité était qu’il faisait vibrer l’âme divine de son instrument. C’est  d’ailleurs par ce nom que  les maîtres luthiers désignaient cet élément dans la facture du violon qui avait le pouvoir et le don d’en faire un instrument céleste.

Toucher l’âme des instruments à cordes, s’en imprégner et s’y fondre était le rêve d’enfant de Vladimir Tilev. Né et grandi dans une famille de musiciens, baigné dans un océan de sons, son destin de musicien concertiste était dirait-on scellé d’avance. Or ce qu’il affectionnait par-dessus tout c’était de faire des petites “retouches“ à son violoncelle. Il n’ avait 12 que  ans, lorsqu’un jour entrant dans l’atelier d’un voisin qui était luthier il avait eu la révélation – son destin était venu au rendez – vous.

« On sent  ces choses - là, c’est  un appel du cœur – se souvient de son enfance  Vladimir Tilev - il allait souvent à l’atelier du maître luthier.  – On a tous nos rêves d’enfant, nos préférences pour certaines choses.  Et je peux affirmer avec certitude que dès lors j’étais sûr que j’allais en faire mon métier. Ne serait-ce que comme un hobby,  que pensais mener de front  avec mon métier de musicien.  Pourtant avec les années,  la lutherie est devenue ma vie et le métier de musicien s’est  effacé devant ce que je considérais juste comme un hobby. » 

Cela fait déjà plus de 20 ans que Vladimir Tilev restaure des instruments à cordes et en fait de nouveaux dans son atelier. Et comme le dit lui –même le bon luthier se doit d’être aussi bon musicien à la main habile il est diplômé de la classe de violoncelle du Conservatoire de Musique de Hesse en Allemagne. Et comme le violoncelliste doit avoir la main habile, il reste fidèle à son rêve – fréquenter  les ateliers des luthiers. Et aujourd’hui, ayant gagné les galons de sa profession au niveau international, il dit en toute modestie avoir révélé certains secrets  de facture des grands maîtres  luthiers du 17e et du 18e  siècle  Stradivarius, Amati et autres Guaneri.

« Les instruments, à la différence de l’âme humaine sont mortels – bien que nous disions qu’ils ont leur âme – estime le luthier. – Etant  des objets matériels, ils vieillissent,  le matériau dont ils sont faits se déforme, se dégrade, le bois finit par déclarer forfait.  Dans 500 ans, les instruments qui valent à présent des fortunes ne pourront plus produire aucun son, le même constat vaut pour les instruments de facture plus récente, nul ne saurait augurer la qualité du son qu’on pourra en tirer dans deux ou trois cents ans. C’est dire que le vieillissement du matériau est un critère de premier ordre pour la qualité du son. 

D’un autre côté, il est non moins important dans quelles mains échouera l’instrument, est persuadé le luthier.

« Si un bel instrument tombe entre les mains d’un musicien, je dirais, passez -moi le mot, plutôt médiocre, – au bout d’un certain temps il ne résonnera plus comme il devrait,  il n’aura plus cette envolée du timbre, cette beauté et cette légèreté. Voilà pourquoi il est  extrêmement important  pour l’instrument de savoir en tirer le meilleur son, de le faire vivre, vibrer de rendre un son toujours plus dense, plus aérien ou plus délicat ou encore puissant et fougueux. » 

Le luthier confie « ses instruments » à des mains sûres  - en  2016, sa fondation qui parraine des jeunes instrumentistes  a prêté un violon de maître et un violoncelle à deux élèves de l’Ecole de Musique de Sofia.

« En novembre prochain nous aurons un nouvelle séance de casting, si l’on veut à l’Ecole nationale de Musique de Sofia, parce que j’envisage de prêter encore un violon – poursuit Vladimir Tilev. – Celui de l’année dernière, je vais le laisser entre les mains de Marina Marinova pour un an encore pour qu’elle puisse terminer son cursus ainsi que le violoncelle de Nauma Naiman, si elle en exprime le souhait. Un autre projet de la fondation – faire don de cinq petits violons pour l’ apprentissage à des élèves des petites classes parce que très bientôt ils seront confrontés  à la difficulté de trouver  l’instrument dont ils auront besoin pour leur évolution musicale. »

Il y a quelques décennies, un petit garçon suivait d’un regard émerveillé  les gestes d’un luthier de son quartier. De nos jours, dans notre monde hautement performant et super innovant il ne vient à l’idée de  personne de s’aventurer  dans l’atelier où l’on soigne l’âme des violons en souffrance. 

Version française Roumiana Markova