A une quinzaine de km de Veliko Tarnovo, l’ancienne capitale de Bulgarie on se retrouve plongé dans un univers idyllique. Une seule loi y règne – la loi de l’amour, qui arrive à transformer même l’homme le plus endurci.

Tous les visiteurs de la ferme de Vera et de Victor sont accueillis et fêtés dans un tumulte assourdissant, et assaillis de toutes parts. Il ne peut en être autrement, puisque le comité d’accueil se compose des plus heureux animaux domestiques du monde qui se bousculent à qui mieux-mieux pour prodiguer des câlins et en quémander en retour.

Il y a 15 ans, le couple de Hotnitza a ouvert sa ferme pour recueillir les bêtes malheureuses et rejetées par la vie. Leurs premiers pensionnaires - un agneau infirme et chétif qu’on avait abandonné sur la route et un ânon cabochard qu’on menait à l’abattoir. Aujourd’hui, à la ferme on voit courir en toute liberté chevaux, béliers, agneaux, chiens, ânons, dindons et même un cochon. Toute cette armée à poils et à plumes attend avec impatience l’arrivée des enfants et de leurs parents, pour partager une heure ou deux leur vie dans ce cadre bienveillant et débordant de gaîté. 

« Quatre-vingt-dix pour cent des bêtes sont ici depuis leur tout premier jour – nous les avons élevées à l’intérieur, dans une pièce de la maison, avec les couches culottes, les nuits blanches et tout ce qui va avec, voilà pourquoi ils me considèrent comme leur maman – dit Vera Trendafilova. – Je suis maman mouton, maman chèvre, maman jument, et plein d’autres mamans encore. Le parent étant l’autorité incontestable pour chaque enfant, c’est lui qui décrit le monde qui sera le sien. J’ai donc raconté à tous mes enfants à quatre et à deux pattes, que le bonheur est partout, que tous les hommes sont bons et amis, que le soleil brille toujours – et vous voyez que les “mensonges”, que je leur ai racontés sont pour eux la vérité vraie. Comme nos bêtes vivent en toute liberté, en harmonie et sans aucune contrainte, parfois au cours des visites il leur arrive de payer pour leur hospitalité et leur spontanéité. Ils fourrent leur museau dans les poches des gens, réclament des câlins, frottent leur front contre celui des enfants. C’est un vrai spectacle pour les visiteurs, qui en deviennent les acteurs émerveillés, tellement ils s’amusent et sont réellement heureux. »

Outre les petits noms d’affection que leur ont donnés Vera et Victor, en bons parents d’accueil, qu’ils sont, ils leur offrent de surcroît la chance de s’épanouir, de développer leurs capacités et de cultiver leur tempérament. Rien d’étonnant donc de les voir tous rassemblés dans la grange par les matins de pluie pour écouter leur roman préféré Le Hobbit.

« C’était notre collaborateur Rostislav  Avramov, qui avait eu l’idée de leur faire la lecture d’un texte aussi compliqué que Les Musiciens de Brême – se souvient Vera Trendafilova, la maman de la petite communauté. – Par-dessus son épaule on voyait Mirko le petit ânon curieux, Noucha, la chienne écoutait très attentivement le récit, dressée sur ses pattes de derrière, celles de devant, appuyées sur les genoux du narrateur, alors que le bouc Andrey, véritable magicien au don d’ubiquité, qui acceuille le premier les visiteurs et les raccompagne ensuite jusqu’au portail, se tenait les yeux fermés d’un air recueili. Il y avait aussi le bélier Rayko – qu’on avait jeté à la rue encore tout petit, car atteint de dystrophie musculaire, il rampait sur les genoux et ne pouvait marcher. Nous nous sommes battus des mois et des mois – piqures, harnais avec plastron, rééducation, pour arriver à lui faire comprendre qu’il pouvait marcher. Et le voilà, maintenant un bélier de toute beauté, tellement reconnaissant pour les soins et notre aide, qu’il n’arrête pas de câliner les enfants et qui le lui rendent bien, heureux comme tout de plonger leurs mains dans sa douce et chaude toison. »

Voilà qu’un beau jour Bingo le cheval, a été pris de violentes coliques et le temps que le vétérinaire arrive, il a été soigné, si l’on peut dire, par un ami à quatre pattes, surgi d’on ne savait pas trop d’où, ni missionné par qui.

« Personne n’a pu expliquer l’attirance du chien pour le cheval, mais il est resté tout le temps à ses côtés – poursuit Vera Trendafilova. – Et alors que Bingo était à l’agonie, on voyait qu’il avait abandonné le combat, ce chien, surgi de nulle part ne cessait d’aboyer et de sauter tout près de sa tête pour l’obliger à se relever. Parce que en cas de coliques aussi violentes, il est impératif pour l’animal de bouger, sinon il est condamné. Et à chaque mouvement de Bingo, le chien le suivait, comme un reflet dans une glace, et c’est pourquoi on l’a appelé Shadow - l’ombre de Bingo. Et, la crise passée, quand le cheval se sentit un peu mieux, nous l’avons attaché à une longe d’une dizaine de mètres pour l’obliger à le faire marcher et, j’ai vu de mes propres yeux Shadow, tenant la longe dans sa gueule, qui essayait de le faire avancer. Il avait réussi à l’effrayer avec un bâton qui gisait à terre et l’encourageait à bouger. Pour moi, cela tenait du miracle, jamais je ne l’oublierai. »

Il n’est pas loin le temps, où des études approfondies révéleront l’intelligence des bêtes, Vera en est certaine. Et pour mieux étayer cette idée, elle cite une phrase qu’elle a lue quelque part : « les animaux ne sont pas inférieurs à nous, les hommes, ils sont nos frères et nous marchons ensemble dans la splendeur et les souffrances sur la Terre. »