Le petit appartement au quatrième étage dans un quartier tranquille de Rome s’avère un lieu pour initiés, un cosmodrome d’où les gens à la sensibilité accrue s’envolent dans l’infini et rencontrent, parmi les étoiles, les planètes et les galaxies, l’esprit d’Ilia Peikov, le Bulgare qui a contemplé le Cosmos avant même le vol spatial de Gagarine.
"C’était un magnifique coucher de soleil tout rouge sur la montagne Vitocha. Ilia contemplait le soleil jusqu’à ce que son dernier rayon ait disparu. C’est en ce soir d’été que son âme connut un bouleversement", raconte Iole Mancini en me faisant visiter (en 1999 – NdA) l’univers immortalisé dans les tableaux de son époux.
Tout commence par l’amour de l’art. C’est lui qui emmène dans les années 40 Ilia Peikov à Rome où son frère Assen s’est déjà fait une place dans la vie artistique locale.
Né en 1911, le dessinateur de planètes, d’étoiles et de soleils reste dans la Cité éternelle jusqu’à la fin de sa vie. Des années après son arrivée, à la question s’il craint la mort, il répond : "La mort ne me fait pas peur, mon seul regret sera de devoir abandonner Rome."
En Italie le jeune Ilia est pris dans le tourbillon d’une vie de bohème qu’il ne pouvait même pas imaginer dans son Sévliévo natal. Assen possède déjà un atelier dans la rue la plus chic de la capitale italienne, Via Margutta. Ses compagnons de bringue sont Vittorio De Sica, Federico Fellini ou Ava Gardner. C’est à Via Marguta qu’Ilia Peikov contemple pour la première fois les cieux avec la curiosité du peintre en herbe.
"Par ses tableaux Ilia confirmait les images qui ont été transmises du Cosmos bien plus tard. Ils sont tous des miracles de l’esprit humain », dit Iole Mancini en me montrant les nombreuses toiles accrochées aux murs et dans le corridor du petit appartement. Dans cette ambiance aux frontières du réel je me familiarise avec le talent du Bulgare qu’on appelle en Italie "l’astronaute de l’art", alors que dans son pays natal il n’est connu que de quelques amateurs éclairés.
La peinture à l’huile des tableaux est appliquée avec les doigts. Le peintre autodidacte renonce aux pinceaux « afin de sentir la matière vivre avec son toucher », se souvient Mme Mancini. Mais à force d’enduire ses doigts de peinture ses mains finissent par s’infecter et il est contraint de recourir à un "intermédiaire" entre son imaginaire et la toile. "Ilia aimait mélanger des couleurs vives et sa préférée était le rouge", révèle Iole Mancini. C’est ainsi qu’est née sa marque de fabrique : un éclat de feu auquel l’artiste donne le nom de "Rouge Peikov".
Iole Mancini visitait souvent l’atelier de son mari.
"Quand je regardais par-dessus son épaule, je lui demandais ce qu’il dessinait. Il me répondait : "Je n’en sais rien, je verrai ce qu’il me viendra à l’idée." Ensuite il se rapprochait petit à petit de l’image finale, cela prenait des jours. Ilia commençait plusieurs tableaux en même temps et il allait de l’un à l’autre selon l’inspiration du moment", se souvient Iole Mancini.
Lorsque Youri Gagarine revient de son vol spatial, il pense être le seul être humain à avoir contemplé l’Univers. Mais lorsqu’il voit les tableaux cosmiques d’Ilia Peikov, il est sidéré. "Ce n’est pas possible d’exprimer sur une toile les choses telles qu’elles sont en réalité", dit-il au peintre. Et après la sortie de "2001, l’Odyssée de l’espace" de Stanley Kubrick sur les écrans ce sont les amis du "prophète cosmique" qui l’assaillent de questions comment il se fait que les images de ses tableaux soient identiques à celles du film.
"Il pensait que les images qu’il voyait en esprit existaient quelque part là-haut", raconte Iole Mancini. "Il n’avait pas de télescope et ne pouvait pas voir dans le ciel ce qui n’existait que dans son imagination." Mais pour un cardinal du Vatican qui a visité une de ses expositions il n’y a aucun mystère : Ilia est plus près de Dieu que n’importe quel autre croyant et c’est pourquoi ses tableaux dévoilent les mystères de l’Univers.
"J’ai dessiné l’endroit de mon repos éternel lorsque j’aurai quitté ce monde", aurait dit vers la fin de ses jours Ilia Peikov. "La vallée du silence" est peint en 1987, un an avant sa mort. A présent il est conservé par les Frati Minimi, avec d’autres tableaux donnés par le peintre à cette congrégation monastique. Mais Ilia le redessine spécialement pour son épouse avec la dédicace "A ma compagne de route terrestre".
L’Italie ne veut pas oublier le premier peintre au monde à avoir montré que nous ne sommes qu’un grain de poussière dans l’immensité de l’univers. En 2007 la municipalité de Rome donne le nom d’Ilia Peikov à une place de la ville et cet espace garde la mémoire du Bulgare, chevalier de l’Ordre du Mérite de la République italienne, dont les tableaux cosmiques ornent de prestigieuses galeries d’art et collections privées de par le monde.
Version française : Christo Popov
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