Alors que la Bulgarie s’apprête à adopter l’euro le 1er janvier 2026, la perspective d’une pleine intégration monétaire européenne suscite autant d’espoirs que de réserves. Si l’adhésion à la zone euro est perçue comme un vecteur de stabilité et de maturité économique, elle ravive aussi les tensions sociales et les craintes d’une flambée des prix. Dans le discours officiel, l’accent est mis sur la volonté d’éviter toute dérive inflationniste : pas de spéculation tolérée, ni d’arrondis excessifs sur les produits de base. Pourtant, une zone d’ombre demeure : celle du marché immobilier, hors de portée des régulations de prix.

Déjà en forte hausse ces dernières années, les prix de l’immobilier ont grimpé sans que le pays ne soit encore dans la zone euro. Les transactions s’y font depuis longtemps en euros, dans un climat d’euroïsation informelle. Le passage officiel à l’euro pourrait accélérer cette dynamique, notamment en raison d’un effet collatéral peu discuté : la baisse du taux de réserve obligatoire bancaire, qui passerait de 12 % à 1 %, conformément aux règles de la BCE. Ce changement libérerait jusqu’à 15 milliards de leva /7.5 milliards d'euros/,  un afflux de liquidités susceptible de gonfler encore davantage les crédits immobiliers.

La suppression des réserves minimales obligatoires pourrait dégager une importante liquidité bancaire, favorisant potentiellement un nouvel envol des prix, notamment dans l’immobilier. C’est ce qu’explique Stoyan Pantchev, économiste et cofondateur du Club d’experts en économie et politique :

"Cet excédent de liquidités pourrait alimenter une bulle de crédits, sauf si deux mécanismes viennent freiner cette dynamique : une hausse des taux d’intérêt, par rapprochement avec ceux de la Banque centrale européenne, ou une récession financière. Sans ces contraintes, la baisse des réserves obligatoires pourrait donc déclencher une flambée des prix immobiliers", conclut-il.

Selon lui, l’adoption de l’euro provoquera inévitablement une hausse générale de l’inflation et des prix. En revanche, le marché immobilier, soumis à des dynamiques particulières, reste difficile à anticiper avec certitude.

"Les taux des prêts hypothécaires en Bulgarie sont actuellement très bas. Il est probable qu’ils connaissent une hausse dans les mois à venir", prédit l’économiste.

Ivan Velkov, membre du conseil d’administration de la Chambre de commerce bulgare et vice-président du Conseil mondial des experts de la Fédération internationale de l'immobilier, affirme que la hausse spéculative des prix de l’immobilier en Bulgarie est déjà derrière nous. Selon lui, l’adoption prochaine de l’euro ne devrait ni accélérer ni ralentir cette tendance.

"L'évolution des prix dépend principalement de facteurs internes liés à l’inflation et à l’économie locale, plus que de la monnaie adoptée", explique-t-il. "La Bulgarie rejoindra un marché européen où la hausse des prix immobiliers est une constante, reflet d’une inflation généralisée."

Pour Velkov, la véritable question n’est pas l’impact de l’euro, mais la dépréciation rapide de la monnaie et ses effets sur le pouvoir d’achat. L’intégration monétaire signifie surtout une nouvelle étape dans l’alignement économique sur le reste de l’Europe, sans bouleverser la trajectoire actuelle des prix.

L’expert rappelle que deux facteurs majeurs influencent les prix de l’immobilier en Bulgarie : la conjoncture économique et la politique des banques. Les 15 milliards d’euros que les banques recevront suite au déblocage de leurs réserves ne modifieront pas fondamentalement le marché, explique Velkov :

"Ces fonds restent minimes face à la valeur colossale du parc immobilier bulgare, estimée à plusieurs centaines de milliards. Ce qui pèsera davantage, ce sont les investissements dans les infrastructures et l’utilisation des subventions européennes, car ces capitaux irriguent rapidement l’immobilier, stimulant inflation et les prix, contrairement aux dépôts des ménages et des PME."

L’impact de l’adoption de l’euro sur les prix reste incertain, même si la hausse continue, mais à un rythme ralenti. Stoyan Pantchev estime que la forte envolée des dernières années ne pourra durer sur le long terme, le marché retrouvant les niveaux de pré-crise de 2008. Ivan Velkov anticipe une mutation profonde : la construction de qualité devient impérative, rendant plus difficiles les ventes pour les acteurs qui ne  répondent pas aux conditions requises.

Version française : Svjetlana Satric

Crédits photos : RNB, BGNES